Évaluation des impacts socio-économiques de la filière huile de palme en République du Congo
La République du Congo est l’un des grands pays forestiers d’Afrique centrale. Malgré la présence toujours très importante de forêts au niveau national (24 millions d’hectares (ha), soit 70 % du territoire national), les tendances de déforestation et le contexte de dérèglement climatique font de la protection des couverts forestiers une priorité pour l’aménagement territorial et le développement agricole. En 2018, le gouvernement congolais a adopté le Plan national de développement 2018-2022 (PND 2018-2022), qui promeut la diversification de l’agriculture de manière durable.
L’un des secteurs agricoles clés dans cette planification est celui de l’huile de palme. Le Congo s’est engagé dans l’Initiative pour l’Huile de Palme en Afrique (African Palm Oil Initiative ou APOI en anglais) à travers la signature de la « Déclaration de Marrakech » à la session de 2016 de la Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, à l’initiative du Tropical Forest Alliance (TFA) 2020. L’objectif de l’initiative est de transformer le secteur de l’huile de palme dans dix pays d’Afrique de l’Ouest et Centrale en un moteur durable de développement, avec une réduction d’émissions de carbone tout en produisant des avantages sociaux et protégeant la riche biodiversité des forêts tropicales de ces pays. Le TFA 2020 est un partenariat qui réunit des gouvernements ainsi que des consommateurs clés, des entreprises, des commerçants et producteurs, la société civile, et des groupes représentants des communautés locales et populations autochtones.
Lors du premier atelier national du TFA APOI en août 2017, les parties prenantes du processus TFA APOI au Congo ont validé 10 principes nationaux sur la production responsable et durable de l’huile de palme en République du Congo. Les deux premiers principes touchent à l’importance d’un développement de la filière de l’huile de palme en respect de la législation en vigueur, indispensables pour assurer le développement d’une filière responsable et durable. Lors du deuxième atelier national en décembre 2017, les parties prenantes du processus TFA APOI ont identifié des activités concrètes pour réaliser ces deux principes de base.
À la demande des parties prenantes du processus TFA APOI, l’Institut Européen de la Forêt (EFI) s’est engagé à appuyer une activité d’évaluation des impacts socio-économiques de scénarios d’occupation des sols avec un accent sur le palmier à huile, afin d’en optimiser la trajectoire de développement. Cette étude fut conduite sous la supervision de la direction générale de l’agriculture (ministère de l’Agriculture, de l’élevage et de la pêche — MAEP) qui assure la présidence de la plateforme APOI.
Trois départements agricoles de la République du Congo (Plateaux, Pool et Cuvette-Ouest) à fort potentiel de culture d’huile de palme ont été ciblés pour cette évaluation.
Le Land-use Planner, un outil développé par l’Institut européen de la Forêt dans le cadre de la Facilité REDD de l’UE, a permis de modéliser et de représenter l’impact de futurs choix d’usages des terres, pour faciliter une gestion territoriale participative.

Pour développer les différents scenarios à l’horizon 2050 avec le Land-use Planner, les données ont été collectées à travers la documentation administrative (Plan de Développement du Secteur Agricole – PDSA et Monographies départementales principalement), et les entretiens avec des experts et professionnels sur le terrain : agronomes, responsables administratifs, encadrants du secteur agricole ou encore exploitants de palmeraie. Plusieurs types de données ont été collectés pour chaque culture (rendement, coûts de production, bénéfices, biodiversité et cycles de culture ou de rotation).

Pour chaque département, trois scénarios ont été élaborés :
(1) Business as usual (BAU) :
Les rendements agricoles sont stables, les surfaces cultivées suivent l’évolution démographique, le palmier à huile et les autres cultures de rente ne sont pas développés au-delà de l’existant.
(2) Développement non-maitrisé du palmier à huile :
Dans ce scénario, les cultures de rente et en particulier l’huile de palme, se développent rapidement avec l’appui de programmes de développement publics et d’investissements privés. Ce développement se fait parfois au détriment des autres systèmes agricoles ou des écosystèmes non exploités et/ou protégés comme les forêts, sans respect des critères de durabilité de la Table ronde sur l’huile de palme durable (ou RSPO, de l’anglais Roundtable Sustainable Palm Oil). En 2050, les surfaces de palmier à huile cultivées représentent 755.000 hectares, dont environ 400.000 issues de déforestation. Canne à sucre et soja s’étendent aussi respectivement dans les départements des Plateaux et du Pool, où ces cultures sont déjà présentes.
(3) Développement maitrisé du palmier à huile :
Le palmier à huile s’étend de manière contrôlée et modérée, pour répondre d’abord aux besoins du marché national, l’expansion du palmier à huile est limitée aux zones répondant aux normes RSPO et au zonage national du PDSA. Les autres cultures sont améliorées et l’augmentation des rendements répond en partie aux besoins liés à l’accroissement de la population.
Dans la Cuvette-Ouest par exemple, il ressort de l’analyse du Land-use Planner que :
- Le scénario non maitrisé (expansion sur la totalité des zones d’expansion PDSA) met en œuvre des superficies de palmier à huile potentiellement 17 fois supérieures au scénario maitrisé (expansion uniquement sur zones favorables selon le CIRAD).
- Le scénario non-maitrisé met en œuvre un modèle à 100 % industriel, qui s’étend sur la forêt comme sur la savane. Ce scénario théorique est volontairement non aligné avec la politique de la République du Congo.
- La surface forestière est en forte diminution dans le scénario non-maitrisé et on note une légère diminution dans les scénarios BAU et maitrisé.
- Les émissions de CO2 dues la déforestation et à la dégradation de la forêt sont donc très importantes dans le scénario non-maitrisé.
- De même, la biodiversité connait une chute importante dans le scénario non-maitrisé qui n’est pas visible dans les autres scénarios.
- Le scénario non-maitrisé produit plus de valeur marchande, mais est aussi beaucoup plus destructeur pour le milieu naturel et ses services écosystémiques.

Les tendances dans les deux autres départements sont semblables. Le principal enseignement de ce travail est que le scénario de développement maitrisé du palmier à huile, tout en épargnant les forêts, permet de couvrir la demande nationale projetée à 2050, et ce, grâce à la seule production combinée des trois départements étudiés.
Ce travail démontre également que cette couverture de la demande nationale peut tout à fait être atteinte par des modèles de plantation déployés en zones savanicoles, à proximité des principaux bassins de consommation et en conformité avec l’arrêté (2018) du ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche orientant les investissements agro-industriels de plus de cinq hectares en zones savanicoles.
Le déploiement d’un tel scénario « maîtrisé » dans les autres départements du Congo permettrait par ailleurs, après avoir couvert les besoins nationaux, de développer les exportations. Ceci en s’appuyant notamment sur la certification RSPO, qui permettrait alors aux opérateurs localisés loin des bassins de consommation du sud du pays de pouvoir équilibrer leurs modèles économiques grâce à une meilleure valorisation de leur production à l’export.
Par ailleurs, grâce au travail mené dans le cadre de la présente étude, tous les facilitateurs en aménagement du territoire peuvent désormais s’appuyer sur des données consolidées et adaptées au contexte national.
Pour de plus amples informations, veuillez contacter :
Mrs Judith-Flore Youdi-Malanda
TFA/APOI Focal Point, Ministry of Agriculture, Fishery, and Animal Husbandry (MAEP), Congo
judithyoudi@gmail.com